Je ne suis pas un grand sportif et Aimi non plus, mais d’une façon ou d’une autre, nous nous retrouvons presque tous les jours dans les estrades du terrain de baseball à l’école durant les beaux jours. Ces derniers tirent d’ailleurs déjà à leur fin et ça me déprime. Pas que je déteste l’hiver, mais j’aime bien mieux l’été, entre autre, par exemple, pour nos gradins. Aimi est un peu retard, mais je ne m’en formalise pas. J’espère simplement qu’elle ne trainera pas trop car depuis qu’elle est trainee, elle a moins de temps pour trainer avec ses amis. Amis étant moi et Kaede. Je la connais depuis longtemps déjà, mais je ne pense pas qu’elle ait grand monde dans son entourage à l’école mis à part nous deux. Elle est la plus jeune de nous trois, je ne pas dans sa classe, donc je ne peux pas trop savoir. Elle doit bien avoir des camarades avec qui elle s’entend bien. Je soupire en réalisant que je pense encore à elle; depuis quelques temps déjà je me pose de plus en plus de questions à son sujet. Ça ne veut rien dire bien évidemment, c’est juste que, après tout, quand on est ami depuis des années avec quelqu’un et qu’on ne connait même pas son genre de sushi préféré, c’est un peu manquer à son devoir, non?
Je finis par ouvrir mon sac d’école et prendre un livre au hasard. Je ne suis pas mauvais à l’école, mais les profs nous bombardent de devoir, je me dis que peu importe avec quoi je commence, de toute façon, j’en aurais pour toute la nuit et peut-être une partie du matin arrivé à la maison. Je tente de mon mieux de me concentrer, mais bien rapidement, me voilà en train de gribouiller un personnage d’un manga dans la marge au lieu de résoudre mes problèmes de physique. Au bout de quelques minutes, un bruit me fait sursauter et je lève la tête. Je sais que c’est probablement Aimi, mais j’ai été surpris bien des fois par des gens profitant de mon isolement pour m’approcher. Par chance, c’est réellement Aimi, je souris et lui dit platement : « Ça a été long. »

Je connais Aimi depuis bien assez longtemps pour savoir qu’elle n’est pas juste distraite et perdue dans ses profondes pensées. Je ne peux m’empêcher de jeter un coup d’œil dans la direction où elle vient. Je ne vois rien, mais je pourrais mettre ma main au feu qu’elle a vu son Ichinose senpai sur le chemin. C’est mon senpai aussi techniquement, mais je ne suis pas en pamoison devant lui contrairement à elle. Je ne vois pas trop ce qu’elle lui trouve à ce mec d’ailleurs. Beaucoup de filles gloussent sur son chemin et j’ai toujours pensé que Aimi avait plus de jugeotes qu’elles, mais je me trompais. Ce n’est pas que ça me dérange, mais vous voyez… Je ne comprends juste pas ce qu’elle lui trouve à lui! Aimi c’est la fille impliquée, la défenseuse des plus faibles et lui… c’est Mr. J’ai-un-fanclub-à-l’école, vous voyez? J’exagère peut-être un peu la chose, mais je ne comprends pas qu’il soit le genre de mon amie. Mais je sais aussi qu’elle ose à peine le regarder et ne lui a probablement jamais adressé plus que des « bonjour » depuis le début de l’année, ce n’est donc pas une surprise pour moi que son retard soit causé par son professeur. J’ai envie de compatir, mais une partie de moi est un peu boudeuse soudainement, je ne fais donc qu’hocher la tête. Je marmonne « Dessin, plutôt » lorsqu’elle remarque ce que je suis en train de faire. Je ferme le livre, le pose de l’autre côté et attrape mon sac pour sortir mon propre bento. Je n’ai pas besoin de l’ouvrir pour savoir ce qu’il y a dedans puisque Aiji et moi sommes les cuistots de la maison. Karen quant à elle, n’a pas la même touche pour la cuisine que nous… pour dire ça poliment. « Du riz, de l’omelette, des crevettes tempura et des fruits. » Je pose mon bento à côté du sien pour qu’elle puisse aussi piger dans mon bento. Il est beaucoup plus modeste que le sien, mais tout aussi mangeable. Je m’étouffe presque à sa phrase suivante. Je déteste réellement cette période de l’année et essaie toujours de trouver une excuse pour être absent, mais ça ne marche pas toujours. « On va servir du thé et des gâteaux de lune faits sur place… Et des représentations sur la cérémonie du thé traditionnelle. » Je me dis qu’au moins, je ne fais pas de représentations moi. Je vais m’occuper des gâteaux de lune et rester dans mon coin tranquille. « Tu devrais demander à Ichinose-san si lui il va servir du café… » Je ne sais pas exactement d’où ça m’est venu, mais c’est sorti seul. Je ne peux m’empêcher de baisser le regard obstinément vers les bento et prendre une crevette pour m’empêcher de dire d’autres stupidités.

Je la considère pendant un moment, mais je dois avouer que le poulet karaage me tente, alors je coupe mon omelette en deux et lui donne une moitié avant de prendre quelques morceaux de son plat. Ça ne vaut pas un bon poulet katsu, mais ça fait l’affaire. Parlant de poulet katsu, mon esprit dérive légèrement vers Aiji tandis que je prends une note mentale de lui demander si on peut préparer un bon curry japonais durant le week-end, à la limite, un riz Hayashi. Lorsqu’elle parle de venir me visiter, je la regarde d’un air voulant dire « t’es pas obligée », ce n’est pas que je ne veux pas la voir elle, mais j’imagine déjà sa bande d’amie la suivant comme des petits canards et tentant d’avoir mon attention; non merci. « Bonne déduction… Mais je suis sure que Kaede se fera plaisir de venir te voir. » Pour moi, assez parler, j’entame mon repas. On a juste une heure le midi, j’aime bien passer du temps avec Aimi mais je ne tiens pas à reprendre les cours avec le ventre vide. Je commence par une bouchée de riz et l’écoute répondre à ma pique. Au moins, elle n’a pas compris que s’en est une. Je n’avais pas non plus compris moi-même sur le coup. Sa réaction me… déçoit. Je ne laisse rien paraitre, néanmoins j’ai vraiment l’impression de sentir quelque chose en moi se sentir abandonné ou brisé. Je ne sais pas trop. Je continue à manger et plus elle parle, plus j’ai envie de soupirer. Une partie de moi a envie de lui répliquer qu’elle fait partie de ces jolies filles, mais au lieu de ça, je continue à manger silencieusement. L’idée que ce mec remarque Aimi ne me plait pas du tout. Tout ça me plait de moins en moins. Je savais bien qu’elle avait un faible pour lui, mais c’était bien la première fois qu’on en parlait. Et oui, je la trouvais idiote, évidemment. Je lui jette un coup d’œil et je sais sur le champ que je ne peux pas lui dire le fond de ma pensée peu importe ce que ce fond est. Alors je secoue la tête doucement : « Ben non… Je pense que tu es trop bien pour lui, Aimi. À part qu’il est capitaine du club de natation et un senpai, il a quoi d’autre? » Ce n’est pas réellement une question que je pose, parce que je ne veux pas vraiment savoir ce qu’elle lui trouve. Une pensée me passe soudainement à l’esprit; peut-être que je devrais devenir capitaine de quelque chose moi aussi…

Tout en mâchant, je souris à son commentaire passé sur Kaede. Quand on est tous les trois ensemble, entre ma taille et celle d’Aimi, il est facile d’oublier qu’elle est plus vieille que nous. En fait, en toute occasion il est facile d’oublier que Kaede à 17 ans. Je ne suis pas du genre à être facilement confortable avec les plus vieux, mais avec Kaede, c’est une toute autre histoire. Pour moi, elle est presque comme une petite sœur, une petite sœur très mignonne. Pas que je la trouve attirante, mais réellement mignonne comme une enfant. Je pense que c’est pour ça que tout le monde veut naturellement la protéger et la gâter. Par chance, malgré cela, elle ne se prend pas pour une princesse, et c’est ce qui fait de Kaede quelqu’un d’aussi bien. Maintenant que je pense à elle, je me dis que c’est dommage qu’elle ne soit pas présente avec nous aujourd’hui, je lui enverrai un sms plus tard.
Je suis soulagé lorsqu’elle ne me parle pas de son très cher senpai, mais sa réponse me surprend. Je la regarde, arrêtant de mâcher ce qui se trouve dans ma bouche. Je me mets à sourire tout comme elle sans m’en rendre compte, parce que son sourire me fait cet effet depuis quelques temps, tout en me donnant un léger malaise. Parfois c’est mon cœur qui se tord, et des fois c’est mes intestins. Mais là c’est les deux. Je me vois en train de me pencher et poser mes lèvres sur les siennes. Je me demande comment elle réagirait, mais je ne veux pas le savoir. C’est troublant, alors je m’empresse de reporter mon attention sur mon bento, avant qu’elle lève la tête et remarque mon air idiot, et met un peu plus de nourriture dans ma bouche même si je n’ai pas encore avalé ma bouchée précédente. Je manque de peu de m’étouffer lorsqu’elle me questionne. J’ai la bouche encore pleine, mais je trouve le moyen de dire rapidement « Non! Non! » Je sens mes oreilles rougir, parce que je déteste parler de ce genre de choses. Surtout avec elle. Je me dis qu’un jour, quelqu’un va finir par croire que je préfère les hommes aux femmes, ce n’est pourtant pas le cas. Aimi le sait depuis le temps, mais je suis plutôt le type abandonné aux crushs allant dans un seul sens. Je pense rapidement pour éviter qu’on s’étende sur le sujet et quelque chose me vient en tête. Ça me passe par l’esprit depuis un moment en fait, surtout depuis notre dernière sortie à quatre… « Dis, Aimi, tu penses que Daisuke-san a un œil sur Kaede? »

Je ne suis pas surpris qu’Aimi n’ait rien remarqué. Elle ne remarque pas ce genre de choses lorsque ça se passe autour d’elle, alors comment pourrait-elle le remarquer lorsque ça se passe entre d’autres personnes. Je me demande si Kaede, elle, a remarqué quelque chose ou si elle est comme Aimi. Ces deux-là ne sont pas amies pour rien. Elles se ressemblent sur plusieurs points. Mentalement, pas physiquement. Physiquement, Aimi est plutôt un bébé géant, et Kaede une jeune femme avec une taille de bébé. J’hoche la tête légèrement à sa question et lui donne le temps de digérer l’information. Je connais Kei différemment qu’elles me connaissent; lui et Aiji sont du même groupe. Durant leur hiatus, Kei l’a pris plutôt difficilement et se ramassait souvent à notre appartement. On n’en a jamais parlé lui et moi, mais je l’ai vu à son pire même si ce n’était pas mon réconfort à moi qu’il venait chercher mais celui de mon frère. Je n’ai jamais rien dit aux autres filles et c’est peut-être pour ça que je remarque les différentes facettes et humeurs de Kei. « Un bon moment oui… » Je prends prend une autre bouchée et regarde Aimi à la dérobé. Beaucoup dirait qu’elle a l’air un peu idiot avec son morceau de poulet collé contre les lèvres, mais moi je la trouve mignonne. Je me demande à quoi elle pense. Si je me fie à ma sœur, elle doit être en train de s’enthousiasmer en pensant à Kaede et Kei ensemble. Les filles et leurs histoires de prince charmant… Ça me donne envie de secouer la tête. J’ai envie de lui répondre que j’ai remarqué que Daisuke agit différemment avec Kaede, mais ce serait me tirer moi-même dans le pied. J’agis différemment avec Aimi aussi… « C’est un truc d’homme, peut-être. On sent ce genre de choses. » Je lui sers un sourire amusé, un peu taquin. Quand je ne sais pas trop comment lui expliquer les choses sans me compromettre, je lui sers toujours une réponse complètement idiote, soit pour la faire rire, ou pour la faire réagir. « M’enfin… Si Kaede t’as rien dit, ne va pas lui en parler… Si elle n’a rien remarqué, si on lui dit quelque chose ça pourrait mettre un malaise entre eux… T’imagine? » Je fais une moue, parce que ce serait atroce d’être la cause d’un froid entre nous.